8 MARS – C’est une prise de position importante, alors qu’un hommage national est rendu à Gisèle Halimi ce 8 mars par le président de la République Emmanuel Macron. Pour la première fois, dans nos colonnes, Yaël Braun-Pivet prend position pour l’entrée de l’avocate féministe au Panthéon. « C’est une grande femme. Elle le mérite », nous dit la première femme présidente de l’Assemblée nationale qui défend aussi l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution. Elle aimerait que ces deux événements interviennent avant la fin du quinquennat.
Le HuffPost : A l’occasion du 8 mars, vous décidez d’honorer à l’Assemblée nationale la mémoire de Madeleine Braun, en inaugurant une plaque en son honneur. Pourquoi ?
Yaël Braun-Pivet : Madeleine Braun a été la première femme présidente de séance de l’Assemblée nationale, en tant que vice-présidente de l’Assemblée, en 1946. Sur 69 plaques dans l’hémicycle, on compte 65 hommes. Elle sera la quatrième femme. C’est assez incompréhensible qu’on ne l’ait pas fait avant.
Avez-vous, à tout hasard, un lien de parenté avec elle ?
(Rires). Absolument pas, les services de l’Assemblée ont même vérifié ! C’était le nom de son mari, mais j’aime bien ce drôle de clin d’œil du destin. La comédienne Sandrine Bonnaire va lire deux de ses discours : un hommage sur les forces qui ont combattu le nazisme (elle était résistante, ndlr) et un autre sur sa proposition de loi relative à l’égal accès des femmes aux fonctions professionnelles. Ce sera un très bel événement.
À l’Assemblée, les comportements sexistes sont de plus en plus ringards et stigmatisés quand ils existent.
Vous avez pris vos fonctions en juin dernier dans une assemblée où il y a seulement 37 % de femmes, mais quatre femmes présidentes de groupe. Diriez-vous que, dans cette enceinte, le sexisme a disparu ?
Est-ce que le sexisme disparaîtra complètement du monde professionnel et de la surface de la terre ? Je ne le crois malheureusement pas. Néanmoins, ces comportements diminuent de façon certaine et j’espère que cette pente est inéluctable. En plus des quatre présidentes de groupe – qui ne sont pas de petits groupes – nous avons cinq vice-présidentes sur six et une première questeure. 80 % des séances sont présidées par des femmes, ce qui a nécessairement un impact sur le climat de l’assemblée. Les comportements sexistes sont de plus en plus ringards et stigmatisés quand ils existent. C’est la force de la féminisation des métiers.
Quelle est votre position sur le congé menstruel ? Le député écologiste Sébastien Peytavie vient de l’accorder à son équipe. Pourriez-vous faire de même ? Faut-il une loi ?
C’est un sujet qui m’interroge beaucoup. J’ai d’abord eu tendance à me dire que ce n’était pas utile, mais quand j’en discute avec des jeunes femmes cela leur semble une évidence. C’est un vrai sujet. Je suis très ouverte à tout ce qui contribue à ce que les femmes soient épanouies dans leurs fonctions et dans l’égal accès aux postes. En politique, certains et le plus souvent certaines s’interdisent d’avoir des enfants de peur de mettre en péril leurs carrières. Je me bats pour le contraire, notamment au sein de mon équipe, féminisée à tous les niveaux de responsabilité.
On compte environ 120 féminicides par an, des chiffres qui ne reculent pas, malgré la grande cause de deux quinquennats. Dans Elle, la Première ministre, Élisabeth Borne, plaide pour qu’on s’inspire de l’Espagne, sans pour autant donner le même budget à la lutte contre les violences machistes. Le regrettez-vous ?
Je suis horrifiée par ce nombre de féminicides qui ne baisse pas, mais aussi consternée par ceux qui disent qu’on ne fait rien. Nous avons fait un effort massif pour former les policiers et gendarmes, pour des magistrats spécialisés, pour lever le secret médical en cas de violences conjugales, pour les bracelets anti rapprochement ou raccourcir les délais d’ordonnances de protection. Quatre lois ont été votées. Politiquement, ce sont des sujets qui nous rassemblent. Peut-être que certains souhaitent aller plus fort ou plus vite, mais à chaque fois, les textes sont largement adoptés. C’est rassurant de savoir que la classe politique dans son ensemble est mobilisée pour protéger les femmes.
La classe politique dans son ensemble est mobilisée pour protéger les femmes.
Quand on trouve chaque année 66 milliards d’euros pour les armées, 36 milliards pour le bouclier tarifaire ou 3 milliards pour la police, est-il si compliqué de trouver 1 milliard pour les droits des femmes ?
Il ne suffit pas de mettre de l’argent, ce n’est pas si simple ! Il faut des budgets évidemment, mais aussi des moyens juridiques, une prise de conscience de chaque acteur, en particulier de la chaîne pénale. Tant qu’il y aura des féminicides, il faudra continuer à agir tous azimuts et dans la durée.
Vous présidente, vous n’attribuerez donc pas 1 milliard par an à la lutte contre les violences faites aux femmes ?
Moi, présidente de l’Assemblée, je ne veux pas que la protection des femmes soit entravée par des contingences financières. Nous avons toujours eu les moyens que nous demandions pour les politiques publiques ambitieuses que nous avons mises en place, sous l’impulsion du président de la République qui a un bilan indéniable en la matière. Son action est résolue et déterminée.
On n’arrivera pas, avec une réforme des retraites, à supprimer toutes les inégalités dont les femmes sont victimes au cours de leurs carrières. Il y a des améliorations pour elles, dans ce texte.
Beaucoup de femmes manifestent contre la réforme des retraites, notamment car elles perdent le bénéfice de leurs trimestres maternité. Soutenez-vous cette disposition du texte ? Pouvez-vous vraiment dire que cette réforme est juste ?
On n’arrivera pas, avec une réforme des retraites, à supprimer toutes les inégalités dont les femmes sont victimes au cours de leurs carrières. Il y a des améliorations pour elles, dans ce texte, comme le minimum contributif ou les trimestres pour les aidants qui concernent en majorité les femmes. J’ai vu que le Sénat réfléchissait à rétablir les trimestres maternité, il faut regarder cela attentivement, si l’équilibre budgétaire de la réforme est respecté. Dans le même temps, il faut continuer à travailler sur les carrières, en favorisant l’accès aux postes à responsabilités comme nous l’avons fait avec la loi Rixain et en luttant contre les inégalités salariales. C’est ce que permettent les index qui montrent quelles entreprises ou administrations favorisent l’égalité professionnelle. Ces outils produisent des résultats. C’est un atout d’attractivité aujourd’hui pour une entreprise que de permettre aux femmes des carrières égales à celles des hommes : les jeunes y sont particulièrement sensibles.
Le président de la République va rendre hommage à Gisèle Halimi ce 8 mars. Ni l’un de ses fils, Serge Halimi, ni l’association Choisir la cause des femmes, qu’elle a cofondée, ne seront présents. Est-ce un hommage précipité ou malvenu ?
Toute l’année et le 8 mars en particulier, il est important de célébrer les grandes femmes et d’honorer celles qui se sont illustrées pour faire avancer la cause des femmes. Ce n’est pas un moment pour nous diviser, au contraire ! Que le Président de la République lui rende hommage ou que nous, à l’Assemblée, nous invitions des représentantes des femmes iraniennes, afghanes ou polonaises, ce sont de beaux symboles. Si Gisèle Halimi était en vie, je l’aurais invitée au colloque que nous organisons au Palais Bourbon, « Paroles d’engagées, regards sur le monde », car ces questions l’auraient préoccupée.
Êtes-vous favorable à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon ?
Silence. Oui, je pense que c’est une très bonne idée, pour elle et pour les femmes. On parlait du nombre de plaques d’hommage à l’Assemblée, on observe de la même façon le faible nombre de femmes au Panthéon. Quand on a célébré les soixante ans du traité de l’Élysée avec mon homologue Bärbel Bas, (présidente du Bundestag, parlement allemand, ndlr), nous sommes allées déposer une gerbe commune devant le tombeau de Simone Veil. Nous, femmes politiques, avons besoin de faire vivre cette mémoire des grandes femmes et assurément Gisèle Halimi fait partie de celles qui ont porté ces combats et façonné le droit des femmes en France et dans le monde. Donc oui, évidemment, elle a sa place au Panthéon.
Demandez-vous solennellement au Président de la République de la faire entrer au Panthéon ?
Ce sont les prérogatives du Président, pas les miennes. À titre personnel, je trouve que ce serait un formidable geste. Elle le mérite.
Présider l’Assemblée nationale est mon « dream job ». Je veux défendre cette institution et contribuer à réconcilier les Français avec la politique.
Pensez-vous que le droit à l’IVG sera inscrit avant la fin du quinquennat dans la constitution ?
C’est mon souhait. La France a un rôle à jouer sur la question de l’universalisation du droit à l’avortement. Alors qu’il est contesté à travers le monde, la France doit porter ce flambeau au nom de toutes les femmes.
Vous êtes l’une des seules femmes citées pour prendre potentiellement la suite d’Emmanuel Macron, qu’est-ce que ça vous fait ?
Rires et sourires.
Vous y pensez ? Vous vous préparez ?
Je n’y pense pas, je ne m’y prépare pas. Je pense matin, midi et soir à présider l’Assemblée nationale. C’est mon « dream job », comme dit mon mari. C’est une fonction immense et j’ai l’honneur d’être la première femme présidente de l’Assemblée nationale. J’ai envie de porter tellement de choses pour cette institution ! Je veux la défendre et contribuer à réconcilier les Français avec la politique.