Après le « Momo Challenge », le « Labello Challenge » ou le « Blackout challenge », c’est celui de la « cicatrice », qui consiste à se pincer très fort la joue pour laisser une trace, qui fait fureur sur TikTok.
C’est un défi d’adolescent comme il en existe des centaines d’autres sur TikTok. Sauf que celui-là pourrait laisser des traces durables – au sens littéral du terme – chez certains d’entre eux. Depuis plusieurs jours, des vidéos de jeunes s’essayant au challenge de la « cicatrice » cumulent des centaines de milliers de vues sur la plateforme. Pour se créer artificiellement une marque sur la pommette, les participants se pincent la peau de la joue, avant d’appliquer une violente torsion. Résultat, des traces rouge écarlate, qui peuvent persister plusieurs mois, voire ne jamais disparaître.
Et ce challenge n’est pas le seul qui inquiète. Le « Momo Challenge », qui pousse les enfants à des actions violentes, le « Labello Challenge » qui incite à la scarification, le « Blue Whale challenge », une série de défis qui se clôt par un suicide ou encore le « Blackout Challenge » qui consiste à retenir sa respiration jusqu’à l’évanouissement… On pourrait en citer plusieurs dizaines, tant la liste des défis dangereux, voire potentiellement mortels, qui ont émergé ces dernières années sur TikTok, est longue.
« TikTok is the new Jackass »
Pourtant, les jeunes n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour se lancer des défis. Bien avant l’apparition des plateformes, les cours d’écoles ont vu proliférer d’autres challenges dangereux. Il y a eu le « jeu du foulard », où un élève était étranglé par un ou plusieurs de ses camarades quasiment jusqu’à l’évanouissement, ou encore celui du « petit pont massacreur », dans lequel celui qui voyait le ballon passer entre ses jamais devenait la cible des autres élèves. « Ces phénomènes-là ont toujours existé, ils ont lieu tous les jours dans les cours de récréation ou entre copains. TikTok, c’est davantage une caisse de résonance qu’un générateur de défis dangereux », explique Clément Legrand, directeur des stratégies à l’agence Otta, spécialisée dans les réseaux sociaux.
Yasmina Buono présidente de l’association Net Respect et spécialiste en éducation numérique, reconnaît que ces « cap’ ou pas cap’ 2.0 » ne sont pas nouveaux, mais selon elle l’avènement des réseaux sociaux a amplifié ce phénomène : « Les enfants sont connectés de plus en plus jeunes et de plus en plus souvent. Forcément, ils tombent plus facilement dessus. »
Il n’y a qu’à faire un bond d’une vingtaine d’années en arrière pour s’en rendre compte. Nous sommes dans les années 2000. Les stars des adolescents s’appellent Johnny Knoxville et Steve-O, membres du mythique groupe Jackass, qui a fondé son succès sur des cascades et des défis dangereux. En France, c’est Michaël Youn et sa bande qui reprennent le concept, notamment dans le film Les 11 Commandements. « L’attrait du risque fait partie de la construction des adolescents. Ils ont besoin de se mesurer, d’apprendre à connaître leurs limites, explique Clément Legrand. Quelque part, TikTok is the new Jackass ». Se joue aussi un besoin d’intégration très fort et une volonté de se sociabiliser, selon le spécialiste : « Ces défis relient les jeunes, ils leur confèrent un sentiment d’appartenance ». « Sur TikTok, il y a un effet de communauté très fort, tous les jeunes sont dessus », poursuit Lydia Menez, journaliste spécialiste de TikTok. Mais attention à la banalisation du risque, met en garde Yasmina Buono : « Sur TikTok, le vrai problème, c’est l’aspect ludique. Tout est fait pour qu’on ne perçoive pas le danger, pour les jeunes, ce n’est qu’un jeu ».
Un ADN intrinsèque à la vidéo et aux challenges
Et si ça marche si bien sur TikTok, c’est aussi parce que le réseau social a été fondé sur le principe même de challenge : « La plateforme a été conçue pour se lancer des défis, notamment des défis de danses. Maintenant, ça a dévié, c’est sur tout un tas de sujet », explique le président de Net Respect. A l’inverse d’Instagram, Twitter ou Facebook, TikTok a un ADN intrinsèque à la vidéo, ajoute Clément Legrand : « La plateforme est entièrement basée sur la vidéo et sur les challenges. Forcément, elle rencontre plus facilement ces défis dangereux que d’autres plateformes. Et d’un challenge à un défi dangereux, la frontière est relativement mince ». Pour Lydia Menez, c’est la simplicité et l’ampleur de TikTok qui explique ce phénomène : « Sur YouTube, par exemple, il faut avoir quelques notions de montage. Sur Snapchat, c’est facile d’utilisation, mais on ne touche que ses amis. Sur TikTok, l’impact est beaucoup plus important, on parle de milliers, voire de millions, de vues ».
Et plus il y a d’impact, plus il y a de risques. Ces derniers jours, plusieurs médecins ont alerté sur la dangerosité du challenge de la cicatrice et sur la possibilité de traces irréversibles, appelant la plateforme à retirer les vidéos. Ce que le réseau social a immédiatement refusé. Pourtant, dans ses conditions d’utilisation, TikTok mentionne clairement que la publication de vidéos incitant à l’automutilation est interdite. « Ils considèrent que ce n’est pas dangereux, que ce n’est pas de l’automutilation. Mais c’est la récurrence et l’intensité de ce geste qui peut laisser de traces à vie », estime Clément Legrand. « C’est paradoxal car TikTok est l’un des sites où la modération est la plus stricte, mais elle concerne essentiellement des images de violences ou de sexe. Mesurer la dangerosité de ces challenges, c’est plus difficile pour l’algorithme », complète Lydia Menez.
La santé mentale des jeunes mise à mal
Après avoir longtemps gardé le silence sur le sujet, TikTok a publié un rapport sur l’impact de ces challenges auprès des jeunes. L’application affirme que 48 % des adolescents interrogés considèrent que les challenges auxquels ils ont récemment été exposés sont « amusants » et « légers ». Pour 32 % des jeunes, si ces défis présentent des « risques », ils se sentent tout de même en sécurité. Selon l’étude, 17 % estiment qu’ils sont risqués et dangereux, dont 3 % les trouvent « très dangereux ». Selon la plateforme, seuls 0.3 % des adolescents interrogés affirment avoir pris part à des challenges dits « très dangereux ». Des chiffres évidemment impossibles à vérifier.
Et ces défis ne sont pas sans conséquences. Pour 31 % des jeunes, les challenges liés à la mort, au suicide ou à l’automutilation ont « un impact négatif » sur eux. Parmi eux, 63 % affirment qu’ils ont impacté leur santé mentale.
Dans ce même rapport, la plateforme a annoncé qu’elle allait ouvrir sur son site une section dédiée à ces challenges dangereux. Le réseau social va également multiplier les avertissements lors des recherches liées au suicide ou à l’automutilation. « TikTok est une plateforme d’hébergement, elle n’est pas responsable des contenus qui sont publiés. Mais c’est inconscient et dangereux de ne pas s’impliquer plus dans la modération des contenus, surtout quand on parle d’enfants et d’adolescents », regrette Lydia Menez.