Marché de l’Eau : L’Afrique du Nord en Quête de Solutions Durables

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Avec une pluviométrie quasi nulle et des nappes phréatiques gravement touchées, l’Afrique du Nord souffre d’un important stress hydrique, obligeant une grande partie de la population à subir des épisodes de pénurie d’eau. Si rien n’est fait pour y remédier, les économies de la région pourraient en être fortement impactées au cours des prochaines années. Des solutions innovantes existent, mais elles peinent encore à se déployer. Initiatives

Selon les analyses de l’organisme américain World Resources Institute (WRI)« les régions les plus touchées par le stress hydrique sont aujourd’hui le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, où 83 % de la population est exposée de manière extrêmement forte à ce phénomène ». En Tunisie, par exemple, « la quantité actuelle d’eau renouvelable disponible par an et par citoyen est de l’ordre de 400 m3 », explique Ahmed Slim Bouakez, cofondateur de la start-up tunisienne WaterSec. Or, le seuil absolu de pénurie est fixé à 500 m3 par personne et par an. « Cela vous donne une idée concrète de la situation difficile dans laquelle se trouve cet État », s’alarme le jeune entrepreneur, évoquant un avenir qui s’annonce plus sombre encore. « La demande mondiale en eau devrait augmenter de 20 à 25 % d’ici 2050 », expose en effet le WRI, « tandis que le nombre de bassins versants confrontés à une forte variabilité d’une année à l’autre, ou à des approvisionnements en eau moins prévisibles, devrait augmenter de 19 % ». Cela signifie que, d’ici 2050, 100 % de la population du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord vivra dans un stress hydrique extrêmement élevé. Et si rien n’est fait dès aujourd’hui, les économies du Maghreb, notamment, en seront fortement impactées : inflation des produits agricoles, faible rendement des cultures vivrières, exode rural, inflation générale… La situation qu’a connue le Maroc en 2022 illustre cette menace. En raison de la sécheresse, l’agriculture marocaine a subi cette année-là une chute de 15 % de la valeur ajoutée agricole par rapport à 2021. La production électrique a également été touchée, la contribution de l’hydraulique étant passée de 12,7 % en 2009/2010 à seulement 1,6 % en 2022, au profit de l’éolien. Conséquence : l’économie a accusé un net ralentissement, avec un taux de croissance de 1,3 %, contre 7,9 % en 2021.

“100 % de la population du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord vivra dans un stress hydrique extrêmement élevé d’ici 2050”

Ahmed Slim Bouakez, cofondateur de WaterSec

Réseaux Défaillants

Dans une étude intitulée Les aspects économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, publiée en 2023, la Banque mondiale estime que « le maintien des formes actuelles de gestion et d’attribution de l’eau pourrait coûter à la région entre 6 % et 14 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2050, contre une réduction moyenne du PIB mondial de moins de 1 % à la même échéance ». En Tunisie, pays plongé depuis des années dans des vagues récurrentes de sécheresse, « 71 % des pertes de PIB liées au climat d’ici 2050 seront dues à des pénuries d’eau », toujours selon la Banque mondiale1. Ces répercussions financières sont imputables à plusieurs facteurs. Outre le changement climatique et le manque de pluie – causes les plus évidentes –, les pertes dues aux réseaux et la surconsommation des volumes d’eau disponibles exacerbent la situation. Ainsi, souligne Ahmed Slim Bouakez, « les pertes d’eau et les inefficacités, notamment dans les transports et l’irrigation, s’élèvent à plus de 100 km3 par an, ce qui représente environ 45 % de la demande totale en eau de la région ». Dans l’agriculture, observe Taher Mestiri, cofondateur de la société Seabex« cette situation peut coûter jusqu’à 50 % des revenus d’un agriculteur donné par saison ».

” En Tunisie, 71 % des pertes de PIB liées au climat d’ici 2050 seront dues à des pénuries d’eau, selon la Banque mondiale “

Taher Mestiri, cofondateur de la société ©Seabex

La Technologie, Atout Des Innovateurs

Rationaliser la demande en eau, renforcer les réseaux hydrauliques pour réduire les pertes et le gaspillage, protéger les écosystèmes, en particulier les bassins versants, les oasis, les forêts et les zones humides… De telles mesures, très coûteuses, permettraient d’accroître la disponibilité de l’eau et la résilience aux chocs climatiques. À défaut de les voir mises en œuvre à grande échelle, des solutions alternatives sont apparues, encourageant des usages plus raisonnés de l’eau. C’est ainsi que la start-up tunisienne WaterSec (voir encadré ci-dessous) offre une solution pour surveiller la consommation d’eau en temps réel, grâce à une plateforme Web et une application connectée à des appareils IoT (Internet des Objets). D’autres startups s’illustrent elles aussi par leur originalité, à l’image de City Taps, qui a conçu un compteur d’eau intelligent et à micropaiement relié à un logiciel de facturation, ou Fonto de Vivo, qui a inventé un purificateur d’eau destiné aux ONG. De son côté, la société française Osmosun (ex-Mascara) s’est implantée au Maroc en octobre 2023 pour y lancer son premier projet de dessalement solaire et préparer l’expansion de ses activités en Afrique du Nord. Quant à la société Seabex, cofondée par le Tunisien Taher Mestiri, elle a été reconnue en 2023 par le Forum économique mondial comme l’une des dix startups les plus innovantes au niveau mondial lors du Zero Water Waste Challenge. Taher Mestiri explique : « Nous avons conçu une plateforme numérique qui permet de répondre à deux questions fondamentales pour l’agriculteur, à savoir : “dois-je irriguer aujourd’hui ? Et, si oui, combien ?” » Cet outil l’aide ainsi à mieux gérer son irrigation, en prenant en compte les données relatives à sa parcelle, à son climat et aux variétés de plantes qu’il cultive par le biais de recommandations obtenues en 10 secondes. Testé et validé par des organismes externes, il « contribue à améliorer l’utilisation de l’eau de 20 à 40 % et augmenter le revenu jusqu’à 25 % », affirme Mestiri, en précisant que la start-up prévoit d’exporter son produit dans plusieurs pays d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient.

Rationaliser la demande en eau, renforcer les réseaux hydrauliques pour réduire les pertes et le gaspillage, protéger les écosystèmes, en particulier les bassins versants, les oasis, les forêts et les zones humides… De telles mesures, très coûteuses, permettraient d’accroître la disponibilité de l’eau et la résilience aux chocs climatiques.


Résistance Au Changement

Pourtant, malgré les bénéfices visibles, des obstacles limitent encore un usage plus large de ces solutions. En cause, la résistance au changement. « Faire confiance n’est pas dans l’ADN des agriculteurs », déplore Taher Mestiri : « C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en train de mettre sur pied encore plus de références et d’arguments pour tenter de modifier leur comportement. De plus, l’accès au numérique et la capacité à assimiler et utiliser le digital représentent un défi supplémentaire ». L’enjeu financier constitue un autre défi, comme le souligne Ahmed Slim Bouakez : « L’eau ici ne coûte rien. Mettre sur la table l’argument économique et convaincre les parties prenantes qu’elle peut s’avérer rentable est une tâche ardue. Dans ce contexte, la thématique de l’eau n’est pas perçue comme un sujet prioritaire, car elle est considérée comme un bien acquis ». Pour autant, les comportements humains ne sont pas figés. Ahmed Slim Bouakez entrevoit d’ailleurs une façon de les rendre plus en phase avec le contexte local. Elle consisterait à « augmenter le prix de l’eau par l’intermédiaire d’un accroissement des taxes auprès des grands consommateurs ».

« La thématique de l’eau n’est pas perçue comme un sujet prioritaire, car elle est considérée comme un bien acquis »

Tunisie : WaterSec Optimise la Consommation d’Eau                                                                                                                      

Aider à optimiser sa consommation d’eau dans le but de la rendre plus responsable et durable, c’est la solution développée par WaterSec. Concrètement, la start-up tunisienne a développé une plateforme Web et une application connectées à des appareils IoT (Internet of Things ou Internet des Objets) qui enregistrent minutieusement l’utilisation de l’eau, permettant ainsi aux utilisateurs, via un tableau de bord, de suivre leur consommation, de détecter les fuites éventuelles, de contrôler le débit d’eau et d’optimiser leurs factures. Le projet est né de la volonté de cinq ingénieurs souhaitant faire face au stress hydrique en Tunisie et dans la région MENA (Middle East and North Africa, acronyme qui désigne une région du monde comportant le Moyen-Orient, l’Égypte et le Maghreb). En partant du constat que l’on ne peut optimiser et gérer que ce que l’on mesure, le suivi de la consommation a été la solution retenue pour lancer le projet, car il est considéré comme l’un des moyens les plus efficaces pour modifier le comportement des consommateurs. WaterSec, qui se rémunère sur la vente de dispositifs IoT et les frais d’abonnement annuels au tableau de bord, se concentre sur les entreprises devant optimiser leur consommation d’eau à des fins commerciales, telles que les industries textiles, pharmaceutiques, agroalimentaires, et le secteur de l’hôtellerie. Selon Ahmed Slim Bouakez, l’un de ses cofondateurs, la solution permet « d’éviter une perte à notre client Sodexo de l’ordre de 369 000 litres d’eau par an, soit 38 % de la consommation totale ». La start-up a remporté en mai 2023 le premier prix dans la catégorie « innovation verte » lors du concours « Creative Young Entrepreneur » (Jeunes entrepreneurs créatifs) en Afrique et au Moyen-Orient, ce qui a valu à Ahmed Slim Bouakez d’être reçu lors du 54e Forum économique mondial de Davos (janvier 2024) par le chef du gouvernement tunisien Ahmed Hachani. Plus récemment, WaterSec a été retenue pour analyser le comportement de consommation des 700 navires de plaisance du Port Yasmine Hammamet. Son ambition désormais est d’exporter sa solution dans le bassin méditerranéen, et notamment en France.

Forbes Afrique

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