Des droits des manifestants à la politique de maintien de l’ordre, Le Parisien répond aux nombreuses questions qui se posent sur les manifestations contre la réforme des retraites.
Le regain de mobilisation contre la réforme des retraites a donné lieu à des scènes de fortes tensions entre manifestants et forces de l’ordre depuis le début de l’année. La colère des opposants a redoublé après l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. Face à ces heurts, la police a, de son côté, répondu par de multiples arrestations, l’interdiction de certaines manifestations ou encore l’encerclement de manifestants par la technique de la nasse. L’occasion pour le Parisien de revenir sur quelques interrogations suscitées par ce maintien de l’ordre.
Que risque-t-on lorsqu’on participe à une manifestation non déclarée ?
La question est revenue sur la table après l’interdiction par la préfecture de police de se rassembler place de la Concorde, quelques jours après le déclenchement du 49.3 par le gouvernement sur la réforme des retraites. Les organisateurs d’un rassemblement interdit risquent jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. Les participants encourent, eux, une amende forfaitaire de 135 euros (pouvant atteindre les 750 euros).
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Si la manifestation n’a toutefois pas été interdite, « aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée », a rappelé la Cour de cassation en juin 2022. Autrement dit, aucun délit n’existe quant au fait de participer à une manifestation non déclarée, résume l’avocate Juliette Alibert.
En revanche, si des manifestants poursuivent leur rassemblement – que la manifestation soit interdite ou non – malgré les deux sommations de dispersion des policiers, « leur action constitue un attroupement et peut être considérée comme un trouble à l’ordre public et faire l’objet d’une condamnation », poursuit l’avocate. Dans ce cas, les manifestants risquent jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, selon l’article 431-4 du Code pénal.
Quand les forces de l’ordre peuvent-elles recourir à la force ?
En l’absence de troubles à l’ordre public, le « maintien à distance de la foule pour préserver l’intégrité physique des manifestants reste l’option privilégiée », défend le ministère de l’Intérieur dans son schéma national de maintien de l’ordre. Le dispositif s’adapte toutefois en « cas de menace ou de troubles à l’ordre public ».
Lorsque la situation se dégrade, les forces de l’ordre peuvent demander la dispersion de la foule en procédant à deux sommations. Une annonce est d’abord faite par haut-parleur aux manifestants : « Attention ! Vous participez à un attroupement. Obéissance à la loi. Vous devez vous disperser et quitter les lieux. » Puis, en cas d’échec, une première sommation intervient : « Nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux », avant une deuxième du même type.
Après un certain laps de temps, les forces de l’ordre considèrent que celles et ceux qui persistent à rester sur place malgré ces deux sommations, commettent le délit de participation volontaire à un attroupement. Cela ouvre la possibilité pour les policiers de faire usage de la force pour disperser la foule et procéder à des interpellations.
C’est généralement à ce moment-là, ou quand des tensions éclatent dans les cortèges, que les forces de l’ordre font usage du gaz lacrymogène, un gaz irritant les yeux, le nez, la bouche et la peau. Le gaz est généralement contenu dans des grenades, tirées à la main avec un lance-grenades, ou peut-être utilisé à l’aide d’un diffuseur à main pour disperser des groupes. Ce gaz étant volatil, il est fréquent que des personnes en dehors des groupes visés soient atteintes et en souffrent.
Les nasses des forces de l’ordre sont-elles légales ?
Oui, mais à certaines conditions. En juin 2021, le Conseil d’État avait jugé « illégal » l’encerclement des manifestants tel que prévu par le schéma national du maintien de l’ordre. Le ministère de l’Intérieur a depuis fait une mise à jour de ce texte, fixant des conditions lors desquelles la « nasse » peut être appliquée, quand l’ancien dispositif n’en mentionnait aucune. « Ce n’est pas la nasse qui a été interdite, mais une interdiction du manque de précision des conditions de la nasse », décrypte Jacques de Maillard, professeur de science politique et directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), qui a dirigé l’ouvrage « Police et société en France ».
Selon ces nouvelles règles, il est possible de « nasser » des manifestants, à condition que la durée de l’encerclement soit « strictement nécessaire et proportionnée » et uniquement pour « prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens ». Si des conditions ont donc été mises en place, « le ministère de l’Intérieur a nuancé et commencé à spécifier des conditions, en laissant un espace d’interprétation avec des notions floues, comme si les circonstances l’exigent », observe toutefois Jacques de Maillard.
Quelles sont les armes à disposition des forces de l’ordre ?
Dans le cadre des missions de maintien de l’ordre, les policiers et gendarmes disposent de plusieurs armes non létales. On peut citer le gaz lacrymogène, en grenade, en bombe aérosol ou sous sa forme liquide avec pulvérisateur à main. Il existe aussi les grenades de désencerclement, qui lorsqu’elles explosent, projettent des éclats dans un large rayon, et les lanceurs de balles de défense (LBD) qui permettent de tirer des sortes de « balles » en caoutchouc. L’utilisation de ces armes est réglementée par l’article D211-17 du Code de la sécurité intérieure. À cela, il faut ajouter la classique matraque et le bouclier.
Quelles sont les règles pour les tirs de grenades ou LBD ?
En raison de sa dangerosité, l’usage du LBD est strictement encadré par la législation. Les LBD, encore appelés flash-ball, doivent être utilisés en principe uniquement lorsqu’un agent se trouve menacé physiquement. Aucune autorisation préalable n’est toutefois imposée avant de procéder au tir. De même, cette arme, censée neutraliser l’individu sans tuer, peut être utilisée sans sommation. Le tir de ces munitions en « semi-caoutchouc » doit se faire à une distance minimum comprise entre 10 et 50 mètres, selon les cas de figure.
L’agent « vise de façon privilégiée le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs », selon une note du ministère de l’Intérieur de 2014, précisant que « la tête n’est pas visée ». Puis, un compte rendu « précis » doit être rédigé, retraçant « les circonstances » ayant justifié le tir. Malgré son encadrement, le LBD suscite de nombreuses critiques après le recensement d’un grand nombre de blessés dû à ces armes, notamment depuis la crise des Gilets jaunes. Près de 2 500 manifestants auraient été blessés par un tir de LBD entre novembre 2018 et mai 2019, estime Amnesty International. La même année, le Défenseur des droits avait demandé l’interdiction de cette arme.
Les grenades lacrymogènes vont libérer des fumigènes provoquant une irritation des yeux et des voies respiratoires. La plupart sont majoritairement utilisées à la main ou à l’aide d’un lanceur. La grenade GM2L, qui aurait gravement blessé un manifestant à Sainte-Soline, a également un effet assourdissant. Au vu de sa dangerosité, elle doit être tirée en cloche avec un lanceur spécifique.
Quels sont les droits des manifestants en cas d’interpellation ?
Après avoir été interpellée, toute personne a le droit de connaître les raisons pour lesquelles elle se trouve en détention. Le manifestant peut également garder le silence face aux questions des forces de l’ordre et faire appel à un avocat. Il a le droit, si besoin, de demander à être examiné par un médecin.
La personne interpellée sera présentée à un officier de police judiciaire, qui a le pouvoir de le placer ou non en garde à vue. Dans ce contexte, la durée de la garde à vue est de 24 heures renouvelables une fois maximum. Une fois ces 48 heures passées, si les autorités estiment disposer d’éléments permettant d’attester la participation du manifestant à des incidents, ce dernier peut être déféré devant un tribunal pour être jugé en comparution immédiate. Si aucun élément ne permet de matérialiser l’infraction, le manifestant est relâché sans poursuite.
Pourquoi autant d’interpellations sans poursuite ?
« Il n’y a pas d’interpellations injustifiées », avait assuré le préfet de police Laurent Nuñez sur BFMTV, après une série d’arrestations à la suite des incidents survenus lors de manifestations ces dernières semaines. Le ministère de l’Intérieur a fait état de 457 interpellations au lendemain de la mobilisation record contre la réforme, jeudi dernier. Soit les chiffres les plus élevés depuis le début de la contestation.
Nombre d’arrestations finissent toutefois par être classées sans suite. Ainsi, sur les 442 personnes placées en garde à vue le mercredi 15 mars, 52 ont été déférées, les autres ont été relâchées sans aucune poursuite. Devant ces chiffres, plusieurs avocats et élus de gauche ont condamné des gardes à vue « arbitraires ». « Un tel écart sur ces statistiques [entre interpellations et poursuites] montre qu’on a, en France, une politique répressive du maintien de l’ordre », juge l’avocate Juliette Alibert.
« Il y a une explication très technique », avait de son côté justifié Laurent Nuñez. Après avoir été interpellés pour un incident (lancer de projectiles, feu de poubelles…), les individus sont placés en garde à vue pendant 48 heures, « un temps très court pour matérialiser l’infraction », estime le préfet de police. « Dans le temps des 48 heures, on va mener des investigations, regarder les vidéos pour voir si les individus ont bien participé aux incidents, s’ils ont été animateurs du groupe. Mais quand on arrive au bout de ces 48 heures, il arrive qu’on ne puisse pas caractériser l’infraction », avait-il défendu.
Peut-on filmer les policiers lors d’une manifestation ?
Rien n’interdit à tout citoyen ou journaliste de filmer l’action des forces de l’ordre lors d’une manifestation. Les policiers ne bénéficient pas d’une protection particulière concernant leur droit à l’image et n’ont pas le droit de saisir un appareil photo ou une caméra.
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Seule restriction, les images diffusées ne peuvent pas montrer de personnes menottées sans leur accord. Documenter les manifestations à travers des vidéos ou des enregistrements sonores a permis ces dernières années d’ouvrir de nombreuses enquêtes pour violences policières.
Les forces de l’ordre sont-elles vraiment obligées de porter leur RIO ?
Tout policier ou gendarme doit pouvoir être constamment identifié. C’est le but du « référentiel des identités et de l’organisation », que l’on connaît davantage par son acronyme, RIO, qui prend la forme d’un code à sept chiffres. « Les agents qui exercent leurs missions en tenue d’uniforme doivent être porteurs, au cours de l’exécution de celles-ci, de leur numéro d’identification individuel », précise un arrêté publié en décembre 2013, pour une entrée en vigueur dès 2014.
Depuis cette date, le RIO est obligatoire et devrait être visible sur les policiers et gendarmes lors des manifestations. Le schéma national du maintien de l’ordre signale même que le port du RIO fait partie du « respect des règles », contribuant « à la réussite des opérations et au renforcement de (la) légitimité » des forces de l’ordre.
Toutefois, comme plusieurs journalistes et citoyens l’ont remarqué, des agents en charge du maintien de l’ordre ont été aperçus ces dernières semaines sans ce RIO. Cela avait déjà été le cas lors des manifestations des Gilets jaunes. Une enquête de Libération, publiée en 2019, mettait en avant l’absence de sanctions pour les agents qui ne respectent pas cette obligation. Quatre organisations de magistrats, d’avocats et de défense des droits humains avaient déposé un recours en urgence devant le Conseil d’État pour rendre effective l’obligation. Une demande que le Conseil a finalement rejetée, jeudi, tout en reconnaissant que « l’obligation du port du numéro d’identification n’a pas été respectée en différentes occasions par des agents de la police nationale ». L’institution estime toutefois qu’il existe d’autres moyens d’identifier avec certitude un agent (bandes de couleur sur les casques, numéro d’unités).
Que se passe-t-il quand des violences policières sont constatées ?
Il existe plusieurs cas de figure. L’enquête est confiée soit à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), quand il s’agit de policiers, soit à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), quand il s’agit de gendarmes. C’est la justice qui, lorsqu’elle reçoit une plainte ou un signalement, est chargée de l’ouverture de l’enquête qu’elle confie alors à l’un des deux services.
Il est aussi possible, pour une personne qui n’est pas concernée, mais qui est témoin, ou bien une victime qui ne souhaite pas porter plainte, de signaler directement les faits en question. Il existe alors deux plateformes, une de signalement auprès de l’IGPN et une autre auprès de l’IGGN.
Depuis la première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, l’IGPN a été saisie de 17 enquêtes judiciaires, a indiqué dimanche sa directrice. L’IGPN et l’IGGN doivent ensuite enquêter afin d’éclaircir les faits et leurs responsables. Une fois l’instruction terminée, les gendarmes ou policiers peuvent être poursuivis en justice et passer devant un tribunal.
Ainsi, en février dernier, un policier a été condamné devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir blessé un journaliste lors d’une manifestation de Gilets jaunes en 2019. En novembre 2020, un autre policier avait été condamné à huit mois de prison avec sursis pour avoir frappé des Gilets jaunes un an plus tôt, place du Trocadéro. Le signalement d’une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux avait alors permis l’ouverture d’une enquête, confiée à l’IGPN.