Fromages, bovins et polémiques: le Salon de l’agriculture, un passage obligé pour les présidents

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Si tous les chefs d’État ont déambulé dans les allées de ce rendez-vous annuel, certains l’ont fait avec plus d’ardeur que d’autres. François Mitterrand n’a jamais goûté l’exercice, guère plus que Nicolas Sarkozy. L’entrain de Jacques Chirac a en revanche servi de modèle à François Hollande et Emmanuel Macron, avec un succès mitigé.

Un très grand classique pour tous les locataires de l’Élysée. Lancé en 1964, le Salon de l’agriculture a vu défiler tous les présidents avec plus ou moins de bonheur, entre cohues, sifflets et parfois interpellations très musclées.

Emmanuel Macron y passera un long moment ce samedi à partir de 7h et devra répondre sur la réforme des retraitesl’inflation record et l‘interdiction des néonicotinoïdes.

• Charles de Gaulle, visites laconiques et pruneaux d’Agen

C’est le Général qui est le premier à ouvrir le bal de cette tradition en 1965, pour la seconde édition du salon, officiellement lancé un an plus tôt. Guère bavard avec les agriculteurs, le chef de l’État se contente de déguster quelques pruneaux d’Agen et de conversations avec ses ministres sous l’œil des caméras de l’ORTF.

Avec un certain lyrisme: pour évoquer les campagnes, Charles de Gaulle évoque « l’éternel retour des labours, des semailles et des moissons, ces contrées des légendes, des patois » et « son génie essentiellement rural », dans l’un de ses ouvrages.

Sa seconde visite en 1968 est tout aussi cadrée. Seul échange marquant dans les travées du salon: ses quelques questions sur la future construction des Halles de Rungis, alors au stade des maquettes.

Interrogé sur le moral de sa femme Yvonne par un badaud, le président ne répond pas et préfère s’extasier sur les tracteurs de Renault. Avant de signer le livre d’or du salon d’un bref: « Quelle réussite agricole. »

• Georges Pompidou, le premier à caresser les vaches

Très soucieux de sa communication, amateur de beaux clichés à destination de la presse, Georges Pompidou s’attelle en 1969, un an après son arrivée au pouvoir, à un vrai bain de foule dans les travées de la Porte de Versailles. Avec un style direct: face aux inquiétudes des vignerons sur les importations de vin, le président n’hésite pas à promettre de s’occuper personnellement du sujet.

« En tout cas, moi je vous aide, je bois beaucoup de vin vous savez », lance-t-il même à un exploitant, en ne se faisant pas prier pour parler de sa région natale: le Massif central.

Et de raconter que sur sa table à l’Élysée, on trouve toujours du Cantal, ce fromage qui porte le nom du département dans lequel il est né. Preuve de son plaisir à circuler entre les bovins, qui compte l’une des populations de vaches les plus importantes en France, le normalien est le premier à lancer un geste désormais incontournable pour tout politique déambulant dans « la plus grande ferme de France »: les caresses aux vaches.

• Valéry Giscard d’Estaing, entre Larzac et pétrole

La première visite de celui qui est alors le plus jeune président de la 5ème République en 1975 a tout d’un bizutage. Ballotté entre la cohue, les applaudissements et des huées dans une France durement touchée par l’inflation et le choc pétrolier, Valéry Giscard d’Estaing achève son déplacement sous les cris de paysans venus du Larzac, en plein bras de fer avec l’État contre l’occupation du plateau.

Sans réagir directement à l’époque, le locataire de l’Élysée fait savoir quelques jours plus tard son sentiment lors d’une conférence de presse. « ll y a des institutions et nous ne sommes pas un régime de pouvoir personnel. Des problèmes d’utilisation de terre à des fins publics doivent être réglés par les institutions ».

Deux ans plus tard, l’homme d’État fait une visite express au salon tout en lançant: « l’agriculture doit être notre pétrole », face à des agriculteurs dubitatifs. Son ultime visite date de 1978. Après plusieurs échanges avec des femmes agricultrices, alors considérées sans profession, le président crée un vrai statut de « coresponsabilité des époux agriculteurs ».

• François Mitterrand, une seule visite et puis s’en va

Le socialiste ne se rend qu’une seule fois au salon de l’agriculture pour faire campagne en 1981, à quelques semaines de l’élection présidentielle. Mais en 14 ans à l’Élysée, il n’y remet pas une seule fois les pieds – une exception.

Ces visites doivent « avant tout être du rôle du ministre de l’Agriculture », décrypte des années plus tard son conseiller agriculture Henri Nallet, dans les colonnes de Metronewsqui explique aussi que le président voit dans le monde rural d’alors un bastion de la droite.

Il faut dire que les relations entre François Mitterrand et la FNSEA, le principal syndicat agricole, ont été très compliquées tout au long de ses mandats, sur fond d’élargissement de la communauté européenne à l’Espagne et au Portugal, considérés comme des concurrents par les agriculteurs français. Avec un symbole: le syndicat avait vu dans la nomination d’Édith Cresson à l’Agriculture, première femme nommée à ce poste, « une véritable provocation ».

• Jacques Chirac, 40 ans de salon

Devenu ministre de l’Agriculture en 1972, Jacques Chirac déambule dans les allées du salon sans discontinuer pendant presque 40 ans. Seule exception en 1979, pour se remettre d’un accident de la route. Une fois à l’Élysée, le Corrézien s’adonne rituellement chaque année à un marathon, passant jusqu’à 10 heures de suite dans les travées, en multipliant les dégustations, les verres et les caresses aux bovins et autres chèvres.

« Ce ne sont pas des bovins, c’est des chefs d’œuvre « , a ainsi lancé tout sourire le président en 2005 en arrivant sur le stand de vaches de race limousine.

Si Jacques Chirac marque alors durablement de son empreinte symbolique l’agriculture française, son bilan est plus nuancé. Il a ainsi toujours ardemment défendu la politique agricole commune agricole (PAC) au niveau européen, souvent considérée comme une incitation à des exploitations de taille XXL, très productivistes.

Sa gestion des deux plus graves crises traversées par l’agriculture française avec la vache folle puis la grippe aviaire qui décime des élevages entiers de volailles, est aussi critiquée. Ses visites s’arrêtent finalement en 2011, 4 ans après son départ de l’Élysée. L’ancien président est alors trop diminué.

• Nicolas Sarkozy et son « casse-toi pauvre con »

Relativement discret au salon de l’Agriculture pour sa première visite en 2006 – il n’y passe qu’à peine 2 heures, en pleine campagne présidentielle – Nicolas Sarkozy marque les mémoires en lançant « casse toi, pauvre con » à un passant qui refuse de lui serrer la main en 2008, sous l’œil des caméras.

Échaudé par cet épisode qui le poursuit pendant tout au long de son quinquennat, le président se contente d’une visite chrono en main l’année suivante, entouré de militants UMP et de très nombreux gardes du corps avec pour seule douceur un petit chocolat.

En 2010, il sèche l’inauguration du salon avant de finalement se rattraper la veille de sa fermeture. En 2011, campagne oblige, le président sort le grand jeu, déambule 4 heures et juge que « l’environnement, ça commence à bien faire« , relativisant le poids des objectifs environnementaux dans la politique agricole.

Dans son livre « Le temps des tempêtes« , publié en juillet 2020, Nicolas Sarkozy évoque »sa faute » commise en 2007, jugeant être « tombé dans ce piège comme un débutant ».

• François Hollande et sa blague

En février 2012, en pleine course à l’Élysée, François Hollande se paie le luxe de battre le record de Jacques Chirac et ne passe pas moins de 12 heures dans les allées du salon. En visite l’année suivante, le chef de l’État fait les frais d’une petite polémique. À un enfant qui lui dit qu’il n’a « jamais vu Nicolas Sarkozy en vrai », le président répond du tac au tac: « ah ben, tu ne le verras plus ».

Ses visites se font de plus en plus houleuses, parallèlement à la baisse de sa cote de popularité. Lors de l’édition 2016, le président se fait ainsi insulter par des éleveurs tandis que des manifestants s’en prennent au stand du ministère de l’Agriculture.

Réaction du Corrèzien: « je suis aussi venu pour entendre ces cris, qui sont des cris de douleur, de souffrance », comme le rapporte Le Figaro.

• Emmanuel Macron en campagne contre « le président des villes »

Visé par un jet d’œuf pendant la campagne en 2017, Emmanuel Macron fait sa première visite en tant que président sous haute sécurité et avec plusieurs costumes de rechange si nécessaire. Mais cela ne l’empêche pas d’échapper aux huées sur fond de polémique sur l’interdiction prochaine du glyphosate.

L’année suivante, le trentenaire explose tous les records avec 14h30 de visite. Il faut dire qu’à trois mois des européennes et en pleine renégociation de la PAC, le locataire de l’Élysée veut séduire les agriculteurs et se débarrasser de son image de « président des villes ». Quelques gilets jaunes tentent bien de s’approcher, mais sont maintenus à distance par le dispositif de sécurité.

Après une année sans salon pour cause de Covid-19, le président reprend le chemin de la Porte de Versailles en 2021 avant une inauguration express en 2022, bousculé par la guerre en Ukraine qui a commencé deux jours plus tôt.

Article original publié sur BFMTV.com

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