Qu’il s’agisse de pure fiction ou de productions inspirées de faits historiques, les castings dits « color blind » – indifférents à la couleur de peau – se multiplient, mais s’accompagnent quasi systématiquement de polémiques.
Fin avril, le ministère égyptien des Antiquités a voulu trancher. Cléopâtre avait la « peau blanche et des traits hellénistiques », insistait alors Moustapha Waziri en réponse à Netflix. La raison de cette déclaration ? La sortie sur la plateforme d’un docu-fiction sur la reine d’Égypte intitulé « Queen Cleopatra », le 10 mai. Dans la série, le rôle de Cléopâtre est joué par Adele James, une actrice noire choisie par la productrice Jada Pinkett Smith. De quoi susciter l’émoi de certains détracteurs et remettre sur la table le débat sur les origines ethniques de la souveraine. En Égypte, une pétition nommée « Arrêtez le documentaire Netflix pour falsification historique »a ainsi réuni pas moins de 40 000 signatures.
La reine Charlotte jouée par une actrice métisse, la Petite Sirène avec des dreads locks ou Cléopâtre en femme noire… Ces derniers mois, de nombreuses productions ont mis à l’honneur les acteurs non blancs, et cela s’accompagne quasi systématiquement de polémiques sur les réseaux sociaux. Tout sauf un hasard.
« Le fait de travailler à avoir davantage de diversité devant et derrière la caméra s’inscrit dans une ligne progressiste que développent les plateformes de streaming, comme les autres entreprises de la Silicon Valley, analyse Louis Wiart, auteur de Quand Netflix fait de la diversité son meilleur argument commercial. Sur les questions sociétales, Netflix ou Disney sont proches des idées du Parti démocrate, ce qui peut faire fuir les spectateurs les plus conservateurs. »
Manque de fondement historique ?
Comme dans le cas de Cléopâtre, c’est souvent l’argument historique qui est mis en avant pour torpiller le choix de tel ou tel acteur. Ainsi, certains ont taxé la série Netflix « La Chronique de Bridgerton », qui se déroule à l’époque de la Régence anglaise, d’anachronisme. Une large diversité ethnique y est représentée, jusqu’au personnage de la reine Charlotte joué par l’actrice guyano-britannique Golda Rosheuvel. En réalité, il ne s’agit pas là d’une simple fantaisie de la productrice Shonda Rhimes. Au même titre que pour Cléopâtre, les historiens eux-mêmes s’interrogent sur la couleur de peau qu’avait la reine Charlotte, celle-ci étant issue d’une branche métisse de la famille royale portugaise.
Comment expliquer une telle réticence dans des cas où même les historiens ne sont pas capables de trancher ? « Les grandes figures historiques qui appartiennent au patrimoine mondial sont toujours perçues comme blanches parce qu’on les représente comme correspondant à la norme dominante. C’est le cas de Jésus par exemple », souligne Rokhaya Diallo, réalisatrice du documentaire Où sont les noirs, dans lequel elle questionne la place des personnes non blanches au cinéma et à la télévision en France. « Les œuvres de fiction en disent toujours plus de l’époque dans laquelle elles sont réalisées que de celle dont elles parlent », résume de son côté Sébastien Durand, spécialiste de la diversité dans la pop culture.
« Dans le cas de la fiction, cela relève du racisme »
Dans le cas des séries ou films purement fictifs, c’est souvent la prise de distance avec le scénario originel qui est mise en avant pour contester la présence de personnages principaux non blancs. Ce fut le cas, il y a quelques mois, lorsque la bande-annonce de l’adaptation de « La Petite Sirène » au cinéma a été divulguée. L’icône de Disney y est représentée par la jeune actrice afro-américaine Halle Bailey. Le mot-dièse #NotmyAriel a alors réuni des milliers de posts sur Twitter, dans une nostalgie amère de la sirène à la peau claire et aux cheveux roux.