Maxime Wagner, 37 ans, est mort dans la nuit du 19 au 20 mars 2020, à Villejuif, sur le prolongement de la ligne 14 vers Orly. Après deux renvois, le procès a lieu ce mercredi, au tribunal de grande instance de Créteil.
C’est l’histoire d’une chaînette, retirée par quelqu’un, sur le chantier du prolongement de la ligne 14 vers Orly. Alors que sa présence aurait peut-être évité la mort de Maxime Wagner, 37 ans. Et d’un enchaînement de circonstances, qui comme souvent, a abouti à l’issue funeste.
Ce mercredi matin, l’entreprise et deux supérieurs hiérarchiques de la victime comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Créteil (94) pour homicide involontaire.
Les faits remontent au 28 février 2020. Ce jour-là, les pannes sur le tunnelier – une énorme usine de 112 m qui construit le tunnel du futur métro – se succèdent. Lorsqu’il prend son poste dans l’équipe de nuit, Maxime Wagner participe à une opération de « déplombage », c’est-à-dire de débouchage d’un tuyau.
La conduite en question achemine du mortier d’un bout à l’autre de la machine pour fixer les parois – les voussoirs – du tunnel qu’elle construit. Mais en raison des arrêts répétés, le ciment s’est solidifié dans le conduit, il faut le déboucher. Maxime Wagner se positionne en tête du tuyau pour vérifier. Mais se produit un « coup de fouet » : l’embout flexible du tuyau est pris d’un mouvement sous l’effet de l’air et percute très violemment le visage du trentenaire. Il tombe inconscient, souffre de plusieurs lésions et hémorragie cérébrale, de multiples fractures du nez, de la mâchoire et du visage. Il décédera de ses blessures, plusieurs semaines plus tard à l’hôpital, dans la nuit du 19 au 20 mars, alors que la France plonge dans le premier confinement.
12 heures de débats au tribunal
Ce mercredi, pendant douze heures, le tribunal a tenté d’identifier les responsabilités. Pourquoi la conduite avait été détachée ? Quid de la chaînette disparue ? Quelles étaient les procédures ? Des questions très techniques dont certaines restent, à l’issue de l’audience, sans réponse.
« Au moment de l’accident, il n’y avait aucun dispositif pour maintenir la conduite en place », a rappelé l’inspecteur du travail, interrogé par le tribunal. Pour l’accusation, les consignes de sécurité n’étaient pas assez claires, ce qui engage la responsabilité des prévenus.
« On se sent impliqués dans l’accident, mais pénalement nous n’avons rien à nous reprocher », s’est défendu à la barre le directeur de l’entreprise, qui a indemnisé une partie de la famille de la victime. « Au plus profond de nous-mêmes, nous estimons avoir fait tout ce que nous pouvions et devions faire en matière de prévention », a-t-il ajouté. « Il y a des procédures et les mesures élémentaires de précaution, comme se tenir à distance, qui n’ont pas été prises ».
« Il n’avait pas connaissance de ce risque, sinon il ne l’aurait pas pris », a rétorqué Me Christophe Bringer, l’avocat de la mère et des sœurs du défunt.
Des procédures qu’on imagine toutefois difficile à mettre en place, dans le fourmillement d’un tunnelier, où travaillent jour et nuit, sans relâche, des ouvriers d’horizons, de formations et de langues parfois différentes, en vue de construire dans les délais impartis, le prolongement de la ligne 14 du Grand Paris Express vers Orly, incontournable pour les Jeux olympiques et attendue par des millions de Franciliens.
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« Ce qu’on dit au final aux salariés, c’est que c’est à eux-mêmes de comprendre où ils doivent se mettre et comment ils doivent se protéger », regrette finalement le procureur.
« Quel que soit votre jugement, madame la Présidente, ces deux prévenus ont perdu un compagnon et c’est un traumatisme et une tristesse dont ils ont du mal à se défaire, ajoute François Masson, l’avocat des deux prévenus, alors que l’un d’eux fond en larme, visiblement submergé par l’émotion.
Un accident mortel par jour dans le secteur du BTP
Un peu plus tôt, l’avocate de la CGT, également partie civile au procès, a rappelé que le secteur du BTP connaît en moyenne un accident mortel par jour. « C’est sans doute toute une organisation à revoir. Mais on ne doit pas mourir sur son lieu de travail » regrette Me Marion Ménage.
Le parquet de Créteil a requis une peine « dissuasive pour éviter que la sécurité de travailleurs soit une variable d’ajustement » d’une amende de 250 000 euros contre l’entreprise Dodin Campenon Bernard et neuf fois de prison avec sursis contre les deux prévenus. Le verdict sera rendu le 29 juin.
Trois autres décès sur les chantiers du Grand Paris Express
Pour les seuls chantiers du Grand Paris Express, trois autres personnes ont trouvé la mort. Quelques jours avant Noël 2020, Abdoulaye Soumahoro, 41 ans, perd la vie en tombant dans un broyeur du tunnelier de la ligne 16, à La Courneuve. Deux ans plus tard, en janvier 2022, Joao Baptista Miranda, 61 ans, est écrasé par une plaque métallique dans la gare du Grand Paris Express. « Il était manœuvre. Son job ce n’était que de nettoyer » regrette un de ses collègues.
Et le 8 mars dernier, Franck Michel, 58 ans, meurt dans la future gare du Blanc Mesnil, sur la ligne 16 du Grand Paris Express, écrasé sous une charge de palettes alors qu’il était en train de procéder à une opération de déchargement. Il travaillait pour Rouillon Transports, une entreprise des Hautes Vosges et était venu honorer une commande ponctuelle pour la société Eiffage Génie Civil.