Meurtres d’enfants : « Le silence médiatique, sociétal et politique accompagne les infanticides »

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Depuis janvier 2020, la journaliste et militante Marie Albert recense sur une page Facebook le nombre d’infanticides en France.

C’est un phénomène qui semble impossible à quantifier. Au micro de France Inter vendredi 22 juillet, Charlotte Caubel, la secrétaire d’État chargée de l’enfant a estimé qu’ « un enfant meurt tous les cinq jours dans son environnement familial dans des conditions de violence ». En 2005, une étude sur « les morts suspectes de nourrissons de moins d’un an » fait état de 255 infanticides chaque année sur des enfants d’un an ou moins. Les chiffres varient, ne se ressemblent pas et sont difficilement vérifiables. Pour Charlotte Caubel, les infanticides sont un « angle mort » dans la lutte contre les violences sur les enfants.

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Partant de ce constat et s’inspirant de la démarche du collectif #NousToutes pour les féminicides, la journaliste Marie Albert recense sur une page Facebook et un compte Instagram les infanticides traités par les médias depuis deux ans. Pour ELLE, la militante explique sa démarche, ses méthodes et ses motivations.

ELLE. Pourquoi avez-vous commencé à compter les infanticides ?

Marie Albert. C’est en 2019 que des collectifs ont commencé à recenser les féminicides pour réveiller l’opinion publique. En parlant avec d’autres personnes, j’ai constaté qu’il y avait également le phénomène des enfants tués par leurs parents dont on parlait très peu. J’ai cherché s’il existait une page Facebook sur les infanticides en France, comme c’était le cas pour les féminicides. Ça n’existait pas. Alors, en janvier 2020, j’en ai créé une et j’ai commencé à compter.

ELLE. Quelle est votre méthode pour repérer les infanticides, phénomène justement très peu visible ?

MA. Pour l’instant, je ne recense que ceux dont parlent les médias, en m’inspirant de la méthode des féministes avec les féminicides. J’ai mis en place plusieurs alertes Google avec les mots-clefs : « infanticide », « bébé secoué », « meurtre enfant », « meurtre bébé ». Je les reçois une fois par semaine. Aussi, il y a de plus en plus de personnes qui me contactent en commentaire, via la page Facebook ou sur Instagram car ils m’ont identifié comme “celle qui comptait les infanticides”. Mais, malheureusement, il y a toujours des cas que je ne vois pas passer.

ELLE. Quels sont vos critères pour considérer un meurtre comme un infanticide ?

MA. Pour moi, un infanticide est quand un enfant, de la naissance à ses 18 ans, est tué volontairement par un adulte. Pour vous donner des exemples, il y a eu le cas récent d’une fille de 14 ans tuée par son copain, qui avait lui aussi 14 ans. Pour moi, c’est davantage un féminicide. Même si ça reste à débattre ! Il y a eu aussi le cas d’une fille de 18 ans jetée du pont de Saint-Nazaire par son père. Elle était majeure donc on aurait pu se dire que c’est une adulte mais, étant donné que c’est son père qui l’a jetée, je l’ai compté comme un infanticide. En revanche, il y a quelques jours, un homme conduisait sous l’emprise de stupéfiants et a tué un enfant. Je ne l’ai pas compté car on ne peut pas savoir s’il a volontairement tué l’enfant, contrairement à la puéricultrice à Lyon qui a donné du produit toxique à une fillette dans une crèche. Je fais attention à ce qu’il y ait une volonté de tuer même si la mort arrive des mois après, comme pour des enfants dénutris car leurs parents ne leur donnent pas assez à manger.

Au début, je ne comptais que les enfants tués par les parents ou la famille. Puis, suite au débat autour du décompte de #NousToutes où des militantes déploraient le fait qu’il ne comptait que les femmes tuées par leur conjoint – ou ex-conjoint – alors qu’il y a aussi des femmes tuées par des hommes en général, je me suis dit que c’était pareil pour les enfants. Il y a des enfants qui sont tués par des personnes qui ne sont pas de leur famille, et il faut aussi les considérer comme des infanticides.

ELLE. Quel est l’objectif de ce décompte ?

MA. Pour l’instant, il n’y a que moi qui fais ça et c’est très difficile. Mon objectif est d’en parler, pour pouvoir affiner les décomptes et que les médias s’en emparent à leur tour, comme les féminicides. C’est un travail sur le long cours. Évidemment, ce ne sont pas les chiffres exacts et c’est très sous-estimé. On ne connaît pas réellement le nombre d’infanticides. Je n’en ai recensé que 33 en 2020, 21 en 2021. À l’heure où je vous parle, le 26 juillet 2022, j’en compte 38, en ne me basant que sur ceux dont traitent les médias. Les chercheurs et les chercheuses parlent de plusieurs centaines au moins par an. Le silence médiatique, sociétal et politique accompagne ces infanticides.

ELLE. Votre démarche s’inspire des féminicides et vous comparez souvent les deux phénomènes. Pourquoi ?

MA. Comme pour les féminicides, où les femmes sont tuées car ce sont des femmes, les enfants sont tués car ce sont des enfants… et parce que les meurtriers pensent qu’ils ont un droit de vie ou de mort sur eux, que leur corps leur appartient, que ce sont des objets. C’est la structure même de notre société violente et inégalitaire qui provoque ces infanticides. Ce ne sont pas des erreurs de parcours, des accidents isolés. C’est systémique. En décomptant le plus d’infanticides possibles, je veux montrer aux gens que ce ne sont pas juste des parents qui sont, d’un coup, dépassés par leurs gestes.

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