Une surprise et une justice : la Martiniquaise de 34 ans, solaire, a remporté le concours, après notamment un très beau discours sur la différence et la confiance en soi, à tout âge.
Comme on est heureux parfois de se tromper. Nous n’avions pas placé Miss Martinique parmi nos cinq favorites. Parce que nous n’y croyions pas. Nous avions rencontré Angélique Angarini-Filopon à Abidjan (Côte d’Ivoire) lors du voyage d’intégration des trente candidates à Miss France 2025, elle était formidable, inspirante comme on dit.
Touchante, par ses hauts et ses bas, l’aveu d’une dépression, d’un redémarrage dans l’île de ses grands-parents et parents, où elle n’avait jamais vécu elle-même avant son départ à Fort-de-France il y a un an. Rayonnante par la lumière qu’on sentait si forte après l’ombre. Elle ne se trouvait pas particulièrement jolie. Elle blaguait si on la complimentait. « Si vous le dites. »
Une candidate singulière et singulièrement attachante et intéressante. Mais les téléspectateurs allaient-ils voter pour une jeune femme de 34 ans, et qui n’avait pas spécialement un profil — physiquement parlant — de Miss ? Quelle question idiote, n’est-ce pas. Quelle considération à côté de la plaque. Facile à dire maintenant.
Les Miss changent, les votants aussi
Les Miss changent, les femmes changent, les hommes aussi comme les votants. Deux ans qu’une femme aux cheveux courts remporte l’élection. Et c’est aussi la première fois que la Martinique remporte le titre. Avec une reine de beauté qui n’y croyait pas vraiment, elle non plus. À notre décharge, Angélique Angarni-Filipon partageait nos doutes, comme elle l’a confié à 1h37, dans la nuit, cinquante minutes après son élection, dans un salon du Futuroscope, face à quelques journalistes.
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Elle venait de gagner, et on lui demandait si elle aussi, elle trouvait ça incroyable, ou si elle y avait cru dès le départ. La réponse est franche et directe comme tout ce qui viendra d’elle : « En devenant Miss Martinique, il y avait une possibilité que je devienne Miss France. Et peut-être un signe : j’ai été la 14e Miss régionale élue, un 14 septembre, et nous sommes le 14 décembre. Mais à chacune des élections régionales, je me disais, ah ouais elles sont très belles, et je voyais la victoire s’éloigner. Je me disais que ce serait chouette, cette expérience. Mais c’était très très loin, dans ma tête, de me dire que j’allais gagner. »
« Au nom de toutes celles à qui on a dit un jour que c’était trop tard »
Au fil d’une élection très ouverte, sur la scène de l’Arena du Futuroscope, la trentenaire — la seule candidate, même, à avoir dépassé ou même atteint trente ans dans toute l’histoire du concours, sachant que la limite d’âge de 25 ans n’a été abolie qu’en 2022 — la Martiniquaise, certes, a semblé avoir mis KO toutes les autres Miss au moment du premier discours, celui des quinze demi-finalistes.
Tellement de nervosité et de voix mal posées, de phrases difficilement terminées, chez ses concurrentes. Angélique Angarni-Filipon avait eu la fameuse phrase de gagnante, en parlant « au nom de toutes celles à qui on a dit un jour que c’était trop tard ». Une de ces formules qui marquent et qui viennent de loin, du cœur et du nu de la vie.
Elle sait que son vécu parle à beaucoup d’autres femmes : « Vous seriez étonnés du nombre de messages que j’ai reçus, de femmes qui veulent changer de métier, de pays, de vie, et qui pensent que c’est impossible. Il n’est jamais trop tard. »
Harcèlement scolaire
La nouvelle Miss France n’est pas du genre revancharde ou vacharde, mais elle sait d’où elle (re) vient. « J’étais très petite jusqu’en CM2, et j’avais les dents en avant, on m’appelait petit poney », a-t-elle dit dans un sourire où l’on sentait l’ancienne morsure de la moquerie et du harcèlement. À Abidjan, elle nous avait aussi confié avoir traversé une dépression après une rupture amoureuse. « J’étais triste. J’ai voulu bouger ».
Elle qui a grandi à Vauréal, dans le Val-d’Oise, et longtemps vécu en Île-de-France, a eu envie de partir, il y a un an. Et de repartir dans l’île natale de ses parents et grands-parents. Sans prendre de billet de retour, cette fois, comme lors des grandes vacances d’antan. Fort-de-France, après Paris. Plus forte que les échecs, elle qui n’aimait pas l’école et travaille depuis ses dix-sept ans.
Plusieurs vies déjà, dans le tourisme, les assurances et les avions, elle qui travaille comme hôtesse de l’air pour la compagnie Corsair. Elle adore son métier mais qui sait si elle reportera un jour son uniforme de personnel navigant ? Elle sourit quand on lui pose la question. « J’irai comme toujours là où le vent me porte. On va passer une année incroyable, vous verrez ». Le vent va souffler, très doux.
Sereine et confiante
Vendredi après-midi, nous l’avions croisée aux répétitions du concours, à la veille du show au Futuroscope près de Poitiers (Vienne). Elle irradiait, très sereine : « J’ai une image beaucoup plus positive de moi depuis un mois, confiait-elle entre deux séquences. J’ai même envie de moins me maquiller, d’alléger. Et de changer de garde-robe, de me faire plaisir. » D’accepter d’être belle, au fond.
Après sa victoire, samedi, elle a pleuré, longtemps. Cindy Fabre, la directrice du concours, a confié qu’elle n’avait jamais lu « autant d’étonnement dans le regard d’une gagnante. Angélique n’y croyait pas. Elle m’a demandé de la pincer et je l’ai pincée pour qu’elle redescende un peu. »
Ses parents sont montés sur scène immédiatement après la fin de la retransmission sur TF 1. Sa mère, qui a survécu à un cancer du sein très invasif, dans une somptueuse robe rouge. Et son père, ancien brigadier-chef, qui forme des policiers et représente pour elle un modèle par son ouverture d’esprit. « Il y avait peu de jeux vidéo à la maison. Mes parents préféraient nous voir avec des livres ». Elle a un frère qui a des enfants, une sœur, mesure 1,83 m, a beaucoup d’amis dont plusieurs de ses différentes vies professionnelles dans les gradins, confiant qu’elle était « merveilleuse ».
Une victoire historique pour la Martinique
Miss France ne veut pas qu’on la réduise à une surprise ou un concept. « On me rappelle tout le temps mon âge, je crois être bien conservée. Je n’ai pas de rides. La trentaine est peut-être le plus bel âge. Dans ma vingtaine je me suis beaucoup cherchée, je voulais être comme tout le monde ». Elle s’est peut-être trouvée en cherchant dans l’altérité la certitude de son élégance, de son bagou, de sa beauté.
Tout le monde a besoin d’être un ou une heureuse « élue ». La Martinique n’avait jamais eu de Miss France. Quelle rencontre entre une île et une femme qui s’y est installée après bien des détours et quelques déceptions. Il y avait eu une sorte d’occasion manquée en 2011, quand elle s’était déjà présentée à l’élection, élue première dauphine en Martinique. Ce n’était pas son moment ou son destin, ce n’était sans doute pas un 14 septembre.
Quatorze raisons d’être heureuse. Elle serait sûrement capable de répondre à cette question avec gourmandise. Les téléspectateurs se sont reconnus en elle. Mais aussi en Sabah Aïb, 18 ans, sa dauphine du Nord Pas-de-Calais, arrivée première dans le vote du public. Le jury a été sensible à son parcours de femme et l’a fait basculer vers le titre, comme avec Eve Gilles l’an dernier. Miss France est un conte de fées, mais parfois comme cette nuit, c’est surtout un magnifique récit de vie. Une sorte d’apaisement, de justice, de bonne nouvelle. Non, il n’est jamais trop tard.